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Histoire
La Norvège, des Vikings à la social-démocratie
Par Eric Eydoux
Maître de conférences à l'université de Caen

Occupant l'ouest de l'oblongue péninsule scandinave, aux confins septentrionaux de l'Europe, la Norvège ne devint hospitalière qu'après s'être libérée des glaces, environ 10 000 ans avant J.-C. Dès lors, à travers les tardifs âges de la pierre, du bronze et du fer, l'archéologie nous permet de suivre l'évolution de ses habitants qui, aussi loin que l'on puisse remonter, appartiennent au monde germanique. Les premières inscriptions runiques, qui datent d'environ 200 après J.-C., révèlent cependant déjà l'existence d'une koinè scandinave, différente des autres idiomes germaniques, qui se scindera à son tour à la fin du premier millénaire pour donner naissance aux langues nationales, à peu près en même temps que naîtront les États… Pour retracer le long chemin qui mena de l'hégémonie des Vikings au développement d'un des pays les plus riches du monde, nous nous sommes adressés à Éric Eydoux.

De l'expansion des hommes du Nord…
C'est vers 800 que commence le temps des Vikings. Quelque deux cent cinquante années durant, ils déborderont leurs frontières en une formidable expansion sur laquelle nous possédons quantité de témoignages terrorisés, mais sans doute partiaux et outrés. En effet, s'ils furent de rudes guerriers exploitant sans état d'âme la faiblesse des structures en place, ils se révélèrent aussi d'avisés marchands et d'intrépides colonisateurs qui prirent pied en Islande, au Groenland et foulèrent même la terre américaine. Ils se montrèrent également des constructeurs de bateaux hors pair ; leurs embarcations hautement perfectionnées, qui alliaient vitesse et stabilité sans pour autant sacrifier à l'élégance, furent précisément le facteur décisif de leur réussite. On s'en convaincra aisément en visitant l'extraordinaire musée d'Oslo qui abrite les bateaux-sépultures d'Oseberg et de Gokstad, dont le mobilier funéraire révèle par ailleurs la créativité et le raffinement des artistes de l'époque. Esprit d'entreprise et haute technicité, ces caractéristiques vaudraient tout autant pour les Norvégiens d'aujourd'hui et, sans se départir d'une certaine prudence, on serait tenté de pousser plus loin le parallèle en évoquant une condition féminine qui n'était nullement synonyme d'assujettissement, ou encore une organisation sociale et politique dont le fondement était l'homme libre, le paysan, qui exerçait ses prérogatives par le canal des ting – les assemblées.

… à la création d'un pays unifié et christianisé
C'est à la fin du IXe siècle, au moment où apparaît le terme Norvège – Noregr ou « route du Nord » – que le pays est unifié. Un siècle plus tard, le « Christ blanc » commence à chasser les anciennes divinités norroises, Odin, Thor ou Freyr – dieu de la Fécondité. C'est après la mort d'Olav Haraldsson en 1030, bientôt connu dans toute la Scandinavie sous le nom de saint Olav, que l'Église s'institutionnalise vraiment ; le processus s'achève en 1152 lorsque le pays accède à la dignité de province ecclésiastique, avec Trondheim pour métropole. Là s'élève toujours la cathédrale, le plus impressionnant fleuron de l'architecture religieuse de l'Europe du Nord, qui le cède cependant en originalité aux modestes stavkirker ou églises en bois debout. Au nombre de trente – dont celle du musée de plein air d'Oslo – elles sont spécifiques à la Norvège : une très déroutante allure de pagode y dissimule la structure d'une église classique. Alors que s'implante l'Église, l'organisation sociale se diversifie et se hiérarchise suivant le modèle occidental. Tandis que dans les premières cités, telles Trondheim, Tynsberg et Oslo, émerge une bourgeoisie, les prérogatives royales se développent et les grands propriétaires, investis de fonctions militaires, commencent à former une caste nobiliaire. Les paysans, bientôt astreints à payer la dîme et l'impôt, sont également nombreux à perdre leur statut de propriétaire. Le servage n'aura néanmoins jamais droit de cité en Norvège où le paysan ne cessera d'être un homme libre, ce qu'on soulignera ensuite à l'envi. Au XIIIe siècle, Håkon Håkonsson (1217-1263) et Magnus le Législateur (1263-1280), souverains fermes et mesurés, finissent de mettre le royaume à l'heure de l'Europe. Mais si la Norvège connaît sous leurs règnes sa « période de grandeur », le déclin s'amorce dès le siècle suivant. Tandis que les Allemands de la Hanse, principalement implantés à Bergen, assurent leur domination sur le commerce, le pays perd une première fois son autonomie dans une union avec la Suède (1319-1355) ; puis il est frappé dans ses forces vives par la peste de 1349-50 qui emporte sans doute la moitié de sa population.

L'Union de Kalmar, ou la tutelle danoise
C'est donc un État norvégien affaibli qui entre dans l'Union nordique constituée à l'initiative de la très entreprenante Margrete de Danemark. Officialisée en 1397, cette « Union de Kalmar » rassemble les trois royaumes sous une même couronne mais reconnaît à chacun d'eux le droit de décider de ses propres affaires. La Norvège se révèle toutefois bientôt incapable de résister aux empiétements croissants de Copenhague et, tandis qu'en 1521 les Suédois entraînés par Gustave Vasa arrachent leur indépendance, elle se trouve ravalée en 1536 au rang de simple province danoise. L'asservissement culturel viendra peu après. Devenu langue officielle, le danois supplantera le norvégien qui ne subsistera plus qu'oralement sous des formes dialectales. Dès lors, dirigée de Copenhague, la Norvège partagera le destin du Danemark. Certains rois lui porteront néanmoins un intérêt tout spécial, tel Christian IV (roi de 1596 à 1648) qui multiplie les efforts pour développer l'économie, principalement les mines, et fait œuvre de bâtisseur en fondant Kristiansand et Kongsberg ou en réédifiant Oslo (1624) qui, pour trois siècles, deviendra Kristiania. Après l'instauration de la monarchie absolue, en 1660, la Norvège entre dans une longue période de prospérité et, à la fin du XVIIIe siècle, la plupart des paysans ont recouvré leur statut de propriétaire. Le commerce du bois et du poisson, de même que l'activité d'une marine marchande devenue peu à peu plus importante que celle du Danemark enrichissent une bourgeoisie où dominent les fonctionnaires. Nombreuses sont alors les voix s'élevant pour demander un relâchement de la tutelle danoise. Néanmoins, plus que les Norvégiens, ce sont les vicissitudes de la politique internationale qui précipiteront le cours des choses. Après s'être rangé aux côtés de Napoléon, le Danemark doit signer en janvier 1814 le traité de Kiel qui l'oblige à céder sa possession septentrionale à la Suède.

L'autonomie recouvrée et le retour à la prospérité
Les Norvégiens ayant eu le temps de se doter d'une constitution démocratique, Bernadotte son identité après plus de quatre siècles de domination danoise, se penche sur elle-même. Dès la fin des années 1830, le mouvement dit de la « percée nationale » s'efforce de puiser dans le passé et les traditions paysannes pour jeter les bases d'une véritable « norvégianité » qui se traduit notamment par la création d'une langue issue des dialectes – laquelle, appelée maintenant « néo-norvégien », deviendra langue officielle à côté de sa rivale d'origine danoise. Politiquement, le parlement, le Storting, bientôt à majorité paysanne, impose progressivement au roi sa prééminence sur l'exécutif puis introduit le suffrage universel en 1898 – étendu aux femmes en 1913. Le pays aspire cependant de plus en plus à s'affranchir de la Suède. Après deux décennies de conflits, les deux pays se séparent finalement à l'amiable en 1905, la Norvège indépendante optant pour la monarchie et offrant la couronne au prince Charles de Danemark qui deviendra roi sous le nom de Haakon VII. Alors même qu'il reprend en main ses propres destinées, le royaume est le théâtre d'une véritable révolution économique qui permet au pays de mettre un terme à l'émigration massive vers les États-Unis et de connaître une prospérité durable. En effet, à partir du début du siècle, la mise en valeur des nombreuses chutes d'eau et la production d'une hydroélectricité abondante et bon marché donnent naissance à une industrie électrochimique et électrométallurgique puissante. Parallèlement à la formidable mutation sociale qui en résulte se développe un important mouvement ouvrier, à la fois syndical et politique qui, après quelques velléités révolutionnaires, se rallie à la social-démocratie. En 1935, un premier ministre issu de ses rangs, Johan Nygaardsvold, prend les rênes du gouvernement. Appliquant une très pragmatique politique de compromis avec l'industrie, il instaure ce « socialisme scandinave » qui, sans toucher aux prérogatives du secteur privé, permettra, à peu près en même temps que les autres pays du Nord, de réaliser un État-providence, au demeurant moins prodigue qu'on ne le croit généralement. Restée neutre pendant la première guerre mondiale, la Norvège n'échappe pas à l'invasion lors du conflit suivant. Occupée pendant cinq ans, elle se montrera réfractaire à toute forme de nazification. Les Trente Glorieuses se dérouleront sous l'égide d'une social-démocratie indéracinable qui, revenue des avantages de la neutralité, aura pris soin de se rallier à l'OTAN. Depuis les années 1970 la Norvège, volontairement à l'écart de l'Europe institutionnelle, échappe aux soubresauts de la crise pétrolière grâce à l'exploitation des hydrocarbures du socle continental. Ainsi, celle qu'au lointain XIIe siècle le Danois Saxo Grammaticus appelait la « Cendrillon de la nature » est aujourd'hui dans le peloton de tête des pays les plus riches du monde.

Eric Eydoux
Avril 2001
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